Une blague aux conséquences imprévues

Thomas se massa le front et soupira.

Sa chambre était plongée dans les ténèbres et il se leva pour allumer la lumière, réalisant qu’il était resté coincé sur son code pendant plus de quatre heures.

Il grogna et ferma son ordinateur, sentant son estomac gargouiller.

En se dirigeant vers la cuisine, il se demanda pourquoi sa belle-sœur Diane ne l’avait pas appelé pour dîner. Ils vivaient dans le même appartement depuis deux ans et bien qu’elle se perde souvent dans ses expériences scientifiques bizarres, elle était toujours à l’heure pour cuisiner le dîner, une de ses activités préférées.

Il toqua à sa porte au passage, mais pas de réponses. Elle était probablement dans son « labo », une sorte de salon transformé en une pièce semblant sortie d’un film de science-fiction, avec des machines dans tous les coins et un ordinateur trônant sur le bureau au fond de la pièce.

Alors que Thomas entrait dans la cuisine, il entendit une voix robotique réciter une litanie monotone, comme si elle lisait un long texte répétitif.

Il s’approcha de la porte du labo. Le son venait de là. Curieux de savoir ce que sa sœur faisait, il frappa à nouveau à la porte.

Toujours aucune réponse, et la voix robotique continuait.

Il toqua une troisième fois, mais toujours aucun changement.

Au bout d’un moment, à la fois curieux et inquiet, il ouvrit la porte.

Sa sœur était assise sur une chaise au milieu de la salle. Elle avait une étrange machine sur la tête, comme un casque recouvert d’électrodes et branché à son ordinateur. Elle regardait le mur devant elle en récitant de manière robotique :

« …restreint donc dangereusement l'habitat vital de l'espèce. Les premiers signes de déclin ont été observés dans les zones les plus méridionales de son implantation, comme la Baie d'Hudson, et selon une étude publiée en 2016, aucun refuge de l'ours blanc n'est désormais à l'abri des effets du changement climatique. Certains modèles climatiques suggèrent même…

-Euh Diane, marmonna Thomas. Qu’est-ce que tu es en train de faire ?

Elle resta impassible, continuant à réciter :

… découvertes d'ours blancs noyés et de cas de cannibalisme, l'augmentation du nombre d'ours à problèmes, cherchant de la nourriture près des communautés humaines arctiques, sont rapportées de plusieurs régions. Ces observations sont cohérentes avec… »

Thomas se dirigea vers l’ordinateur et regarda l’écran, où un programme intitulé « Apprentissage_Rapide_Final_Final » était en cours d’exécution. Sur la fenêtre se trouvaient des centaines de pages de texte sur les animaux, apparemment tirées de Wikipédia.

Thomas, persuadé que sa sœur lui faisait une blague, se mit à taper des idioties entre deux paragraphes que sa sœur allait bientôt lire.

En attendant que sa sœur se mette à lire son merveilleux paragraphe, Thomas s’assit dans une chaise en face de Diane.

Elle avait un air de garçon manqué et de geek, mais une beauté indéniable. Ses cheveux noirs étaient coupés courts, mais sa mâchoire était fine et son menton était étiré, légèrement pointu, et ses yeux verts semblaient pouvoir lancer des rayons laser. Son corps était petit et fin, mais elle avait des seins plutôt gros pour sa taille, et un beau petit cul.

Comme d’habitude, elle portait un chemisier noir sans manche, et un pantalon bleu en jean.

D’un coup, le programme se mit à lire son texte, ce qui le sortit de sa rêverie.

« La li-cul fut considérée une créature mythique jusqu’à la fin du XIXe siècle, lorsqu’en 1891 un chercheur anglais du nom de Sir Edmund Grossebite en découvrit une colonie dans les Alpes. Ces animaux ressemblent à des chevaux, mais le mâle a une longue corne poussant au-dessus de l’anus. Ces cornes sont utilisées pour de très violents combats pour la domination du troupeau, surnommés « sodomies de l’extrême », mais également pour dormir. Le mâle li-cul enfonce sa corne profondément dans le sol pour s’endormir assis, ce qui lui évite de tomber de la montagne. »

Il s’attendait à ce que Diane éclate de rire, où à ce qu’elle lui dise de le laisser tranquille, mais elle resta parfaitement impassible, lisant son texte d’une voix robotique.

Elle se mit ensuite à réciter le paragraphe suivant, et Thomas se mit à sérieusement s’inquiéter.

Il revint vers l’ordinateur et remarqua un bouton « stop » sur le programme. Il cliqua dessus.

Diane grogna et retira le casque. Elle attrapa une petite bouteille d’eau posée à côté d’elle et la vida en quelques gorgées. Elle remarqua ensuite son demi-frère et leva un sourcil.

« Quelle heure est-il ?

-Presque dix heures du soir, répondit Thomas.

-Merde, s’exclama-t-elle. J’ai dû faire une erreur en programmant le chronomètre. Le programme était supposé s’arrêter au bout de dix minutes.

-Tu peux m’expliquer ce qui se passe ici ?

Diane sourit en frottant son front. Elle avait la tête qui tournait, sans parler de sa gorge irritée. Heureusement qu’elle avait pensé à programmer une pause tous les paragraphes.

-Ceci est ma nouvelle invention. La Machine à Apprentissage Rapide, MAR si tu veux.

-Ce truc est sensé t’apprendre des trucs pendant que tu es plongé dans une transe ? Comme une machine à hypnotiser ?

-Pas du tout ! C’est beaucoup mieux que ça !

-Vraiment ?

-Quelle est la couleur du ciel, Tommy ?

-Quoi ? Ben, bleu.

-Et comment tu sais ça ?

• J’ai déjà vu le ciel avant, tu sais. C’est toi l’ermite qui passe son temps enfermée dans sa chambre.

-Et si je te disais que le ciel est rouge, qu’est-ce que tu penserais ?

-Que ta machine t’a grillé quelques neurones.

-Exactement ! Enfin, non, mais oui.

-Quelle éloquence. Je vais finir par croire que ta machine t’a vraiment grillé des neurones.

-Oh, la ferme. Donc tu sais que le ciel est bleu non seulement parce qu’on te l’a dit, mais aussi parce que tu en a fait l’expérience, encore et encore. La connaissance est imprimée dans ton cerveau, et renforcée par l’expérience jusqu’à ce que tu ne puisses plus l’oublier, ou qu’on ne puisse plus te convaincre du contraire.

-Donc ton invention fait ça ? Elle imprime des informations dans ton cerveau jusqu’à ce que tu ne puisses plus l’oublier ?

-Exactement ! Le casque peut détecter les connections neurales qui se forment quand tu apprends une nouvelle information et les renforcent jusqu’à ce que l’information s’imprime dans son cerveau tellement profondément que rien ne peut la déloger. Bon, il faut que je la récite à voix haute, mais ce n’est qu’un prototype, j’ai encore quelques détails à régler. Du coup, j’ai pu apprendre les capitales de chaque pays du monde en quelques minutes, et maintenant… Je suppose que je sais tout sur les animaux.

-Ouais, comme les li-cul.

-Par exemple, répliqua Diane d’un ton mortellement sérieux.

Thomas se figea, regardant sa sœur alors qu’elle débranchait son équipement. Rien n’indiquait qu’elle plaisantait, et Diane n’avait jamais su garder son sérieux lorsqu’elle faisait une blaque.

-Diane, les li-cul n’existent pas.

-Franchement Thomas, on sait que ce ne sont pas des légendes depuis 1891. Tu passes trop de temps sur Internet. Elles ont été découvertes par Edmund Grossebite, épargne-moi les blagues sur son nom de famille, je les ai déjà toutes faites, et elles sont connues pour leurs sodomies de l’extrême. À mon avis, c’est pour ce genre de chose qu’on n’en parle pas à l’école, pas parce que leur existence est un complot du gouvernement Suisse.

-Suisse ?

-Elles vivent dans les Alpes, non ? »

Thomas ferma sa bouche, la regardant en quête d’un signe qu’elle plaisantait, mais rien.

Cette nuit, après avoir mangé des sandwichs, ils allèrent tous deux dans leurs chambres respectives. Diane s’endormit rapidement, mais Thomas n’arriva pas à trouver le sommeil. Sa demi-sœur avait inventé une machine qui pouvait modifier le cerveau, jusqu’à lui faire croire des choses absurdes.

S’il pouvait lui faire croire que les créatures les plus ridicules existaient, qu’est-ce qu’il pouvait lui faire croire d’autre ?

Il passa la majorité de la nuit à fantasmer sur toutes les possibilités. Il avait toujours été attiré par sa sœur, et maintenant, il avait la possibilité de donner vie à tous ses fantasmes.