Afrique du Sud, où ils font une mauvaise rencontre

Audrey et Romain se promenaient main dans la main dans les rues de Johannesburg. Ils avaient fait le tour des boutiques dans le centre-ville et se dirigeaient à présent vers leur hôtel. Ils étaient arrivés trois jours auparavant et passaient pour le moment un très agréable séjour.

Au même moment, un peu plus loin, une femme en haillons courait à perdre haleine, poursuivie par la police. Elle avait dépassé la cinquantaine et courait aussi vite que le permettaient ses formes généreuses et son surpoids, mais elle savait que les policiers à ses trousses ne mettraient pas longtemps à lui mettre le grappin dessus. Putains de villageois. Elle pensait les avoir suffisamment terrorisés pour les empêcher de la dénoncer, mais il faut croire qu’il restait quelques hommes courageux. Elle savait qu’elle devrait vite trouver une solution si elle ne voulait pas se faire capturer, ou pire.

-Tu as entendu quelque chose ? fit Audrey.

-Oui, on dirait qu’il y a de l’agitation par là-bas.

-Je préfère ne pas rester suffisamment longtemps pour savoir ce qui se passe.

Au même moment, le couple vit une femme noire d’âge mur débouler d’un coin de rue, courant comme si elle avait le monde entier à ses trousses.

-Qu’est-ce qui se passe, s’enquit Audrey, qui commençait à s’inquiéter.

La femme en haillons vit soudain le couple qui lui barrait la route et son regard s’attarda sur la jeune femme attirante. Parfait, elle ferait l’affaire.

Poursuivant sa course, la vagabonde heurta brutalement Audrey, leur faisant perdre l’équilibre à tous les deux. Quand elles tombèrent à terre, l’une contre l’autre, leurs lèvres se touchèrent quelques instants, et pendant un instant, quelqu’un d’attentif aurait pu voir deux lueurs quitter leurs bouches respectives pour entrer dans celle de l’autre. À peine furent-elles à terre que les policiers arrivèrent à leur hauteur et saisirent violemment la vagabonde, l’obligeant à se relever.

Prise de vertiges, Audrey observait les environs d’un air hagard. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Qui était cette vagabonde ? Et pourquoi était-ce elle que les flics secouaient comme un sac en ce moment précis. Elle voulut protester, leur dire qu’elle n’avait rien à voir dans tout ça, mais elle entendit soudain une voix étrangère franchir ses lèvres, parlant dans une langue qu’elle ne comprenait pas.

• Angihlangene ngalutho nayo! Ngiyafunga, ngiya ...

Elle voulut porter la main à sa bouche, les yeux exorbités, mais la poigne de fer des policiers l’en empêcha. Que se passait-il ? Elle baissa les yeux et poussa un cri en voyant son corps. Au lieu du corps élégant de jeune femme qui était le sien, elle vit celui d’une femme mûre, avec de l’embonpoint, couvert de crasse et de haillons. Elle vit ses cheveux gris, coiffés en dreadlocks, lui descendre le long du corps.

• Yini ... kwenzekani kimi? Wenzeni kimi?

Elle avait beau se concentrer du mieux qu’elle pouvait, elle se sentait incapable de prononcer la moindre parole en français. Un des policiers qui la tenait s’adressa à Romain.

-Sorry about that. She’s a criminal. We’ll take care of that.

Romain fit signe au policier qu’il n’y avait pas de mal, avant de se pencher pour aider à se relever la femme qui s’y trouvait toujours. Audrey ouvrit de grands yeux horrifiés quand elle reconnut la personne en question. C’était…elle. Elle vit son propre corps se relever, accepter les caresses réconfortantes de son homme, tandis que les policiers essayaient de l’éloigner brutalement du couple. Elle vit son corps la fixer avec un sourire mauvais, mimant un salut de la main en guise d’adieu.

-Tout va bien, chérie ?

-Ca ne pourrait pas aller mieux, dit-elle d’une voix qui était la sienne, mais avec un ton plus distant, presque glacial.

Celle qui avait pris possession de son corps se tourna vers Romain et l’embrassa goulûment. Un peu embarrassé, Romain accepta le baiser, avant de balbutier :

-On devrait peut-être attendre d’être à l’hôtel, non ?

En voyant cette inconnue embrasser son mari, Audrey se sentit envahie d’une rage folle, elle se débattit soudain et voulut protester une nouvelle fois, hurler à tout le monde que cette garce avait volé son corps et que c’était elle qu’il fallait arrêter, pour qu’elle répare ce qu’elle avait fait.

• Linda, akusimina omfunayo, kuyena! Ungintshontshile eugh...agh...

Elle s’interrompit soudain, incapable d’articuler la moindre parole. Il lui fallut un instant pour comprendre que sa langue avait disparue.

Thabisa regardait son ancien corps se faire embarquer par la police avec un plaisir à peine dissimulé. Elle savait qu’elle aurait dû se sentir coupable d’avoir ruiné la vie de cette personne, mais elle n’en avait rien à faire. Dans sa main gauche, elle sentait la langue tiède qui se trouvait encore dans la bouche de la malheureuse quelques instants auparavant. Elle préférait éviter de prendre le risque qu’elle se mette à dire quoi que ce soit de compromettant et avait discrètement marmonné une incantation pour y remédier. Profitant d’un moment d’inattention des policiers et de Romain, elle jeta la langue dans la poubelle la plus proche d’un geste négligent, tandis que la femme de Romain, désormais piégée dans l’ancien corps de la sorcière, se faisait embarquer de , protestant par des râles inarticulés.

-Bon, eh bien c’était surprenant, commenta Romain.

Thabisa baissa les yeux et admira le corps qui était désormais le sien. Cette belle peau blanche, ces formes généreuses, pas encore avachies par le temps. Elle sentait qu’elle allait beaucoup s’amuser. Elle se tourna vers Romain et le plaqua soudain contre le mur pour l’embrasser une nouvelle fois. Sa main parcourait son torse tandis que l’autre s’approchait de son entrejambe.

-Audrey, mais qu’est-ce qui t’arrive, fit Romain, un peu choqué.

-J’ai envie de toi, fit Thabisa avec un regard brûlant.

Cela faisait des années qu’elle n’avait plus été dans le corps d’une jeune femme, et elle avait hâte d’en exploiter chaque avantage.