À la conquête de Jessica Rabbit

Roger Rabbit était un gringalet, à peine grand d'un mètre, doté d'oreilles trop longues, d'un nez trop large et de pieds trop grands. Ses vêtements étaient aussi ridicules que son physique. Il ne portait jamais qu'une paire de salopettes rouges bien trop amples, une paire de gants citron et un ridicule noeud papillon bleu et jaune. Mais, heureusement pour lui, Roger Rabbit était un toon, un dessin animé doté de vie. Son physique de lapin difforme, couplé à son étonnante habileté à endurer avec le sourire tous les sévices (chutes, explosions et autres coups et blessures) que subissent les toons faisaient de lui une star montante du show-business animé. Lui-même était conscient de son succès, mais il jugeait qu'il lui manquait encore une chose, une chose cruciale avant qu'il ne se juge heureux : une femme à ses côtés.

Aussi, dès qu'il entendit parler de cette nouvelle starlette animée aux gros seins nommée « Jessica », il résolut de la conquérir. Pourquoi pas? Ils ne s'étaient jamais rencontrés, mais ils se plairaient probablement : la plupart des toons ne sont pas très difficiles. Et puis, le fait qu'elle était convoitée par d'autres ajouterait du prestige à sa prise.

Jessica était chanteuse, et elle faisait un numéro presque chaque soir au Ink & Paint Club, un café-spectacle tenu exclusivement par des toons, mais dont la fréquentation n'était permise qu'aux humains. Roger avait des connaissances parmi les employés de l'endroit, et grâce à leur collaboration, il parvint assez facilement à s'introduire dans le bâtiment et y trouver la loge de Jessica, où il avait décidé de la surprendre. Une loge... en fait, plutôt un placard un balai. La petite pièce était à peine assez grande pour lui permettre de faire les cents pas. Trois pas dans une direction, et il se cognait contre un mur jauni par le temps. Il se retournait, faisait trois autres pas, et s'arrêtait contre une petite tablette vissée au mur, tablette au-dessus de laquelle on avait accroché un miroir terne et légèrement craquelé. Un tabouret bancal complétait le pathétique ameublement. S'il n'y avait pas eu le nom "Jessica" maladroitement peint en lettres jaunes sur la porte du réduit, personne n'aurait pu deviner que l'on s'en servait réellement comme loge...

Il arpentait ainsi, autant que faire se peut, le repaire de Jessica, impatient de repartir au bras de sa nouvelle conquête, lorsque la porte s'ouvrit. Le lapin se retourna, le sourire aux lèvres, prêt à décocher un compliment, mais ses paroles s'éteignirent en un bête "gaaa..." inarticulé. Son regard éperdu était fixé au-dessus de lui, sur une paire de seins gigantesques qui flottaient bien au-dessus de sa tête, des seins à moitié enveloppés dans une robe d'un rose-rouge brillant, si gros, si grotesquement gros qu'ils lui masquaient entièrement le visage de celle qui les portait. Tous ses plans, toute son assurance, tout son savoir-faire le désertèrent, et il resta là, stupide, la bouche grande ouverte, hypnotisé par ces invraisemblables mamelles.

Les seins frémirent et se penchèrent légèrement vers lui, juste assez pour lui dévoiler une chevelure rousse et deux yeux verts qui se dardèrent durement sur lui. Selon toute vraisemblance, la fameuse Jessica n'aimait pas trop les visites imprévues...

"Monsieur ?" demanda-t-elle sèchement.

Roger avala sa salive. Il n'est pas facile pour un toon de reprendre le contrôle de ses émotions, mais il tentait malgré tout d'oublier l'impérieux besoin de copuler qui s'imposait tout à coup à son esprit pour se concentrer sur un quelconque compliment qui pourrait mettre Jessica dans de meilleures dispositions.